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    Interdit aux moins de 18 ans à sa sortie, ce film maudit et sulfureux revient enfin au cinéma

    Porté disparu depuis des années, descendu par la critique à sa sortie, ce chef d'oeuvre ressort enfin. Son titre ? La Maman et la putain, film fleuve de 3h40, réalisé par Jean Eustache, récemment présenté à Cannes Classics. Focus sur l'oeuvre culte.

    C'est incontestablement l'une des sorties événement de ce mois de juin 2022, et nous ne parlons d'un nouveau blockbuster Marvel ou Disney ! Non, il s'agit d'un film français en noir et blanc, d'une durée de plus de 3h30 et plutôt bavard, au titre précédé d'une réputation sulfureuse : La Maman et la putain, de Jean Eustache.

    La Maman et la Putain
    La Maman et la Putain
    Sortie : 17 mai 1973 | 3h 40min
    De Jean Eustache
    Avec Bernadette Lafont, Jean-Pierre Léaud, Françoise Lebrun
    Spectateurs
    4,0

    Ce (très) long métrage sorti initialement en 1973, avec une interdiction pour les moins de 18 ans, bénéficie depuis mercredi d'une ressortie nationale en version restaurée 4K. C'est la première ressortie officielle depuis 1982 de ce film, devenu véritable objet d'un culte tant il était rare. Des questions de droits, longtemps bloqués, auraient même pu pousser le film à disparaitre. A l'occasion de la renaissance de La Maman et la putain en salles, voici ce qu'il faut savoir sur cette oeuvre phénomène.

    Par où le scandale commence ?

    Mais au fait, pourquoi le film a-t-il été immédiatement entouré d'un parfum de scandale ? La première raison est toute simple : son synopsis, et les thèmes abordés au travers de ce film d'une durée hors norme (3h40). 

    L'histoire est la suivante : Alexandre, jeune oisif, vit avec (et aux crochets de) Marie, boutiquière sensiblement plus âgée que lui. Il aime encore Gilberte, étudiante qui refuse la demande en mariage qu’il lui fait en forme d’expiation. Il accoste, alors qu’elle quitte une terrasse, Veronika, interne à Laennec. « Je me laisse facilement aborder, comme vous avez pu le constater (…) Je peux coucher avec n’importe qui, ça n’a pas d’importance. » Marie accepte, quoique difficilement, de partager son homme avec elle. 

    Je peux coucher avec n’importe qui, ça n’a pas d’importance

    Au regard de 2022, on peut s'étonner d'une interdiction pour les moins de 18 ans. Mais pour l'époque, 1973 donc, bien que Mai 68 soit passé par là, ce synopsis, ses dialogues considérés comme crus (le mot "baiser" est employé à de nombreuses reprises) et surtout les thèmes sous-jacents dérangent. Le film parle d’amour libre et de triangle amoureux. Il y est aussi question de l’avortement, de l'intimité des femmes et leur contraception dont la représentation est taboue, ce qui fait tiquer certains spectateurs. D'aucuns considèrent même ce film comme... pornographique.

    C’est cette rage qui m’a permis d’écrire les dialogues de La Maman et la Putain

    Précisons qu'avant même que le film ne soit tourné, sa genèse avait été complexe. Genèse compliquée mais qui a dans le même temps nourri l'oeuvre et l'a fait devenir ce qu'elle est devenue.

    Dans le dossier de presse accompagnant la ressortie du film, Les Films du Losange, son distributeur, remet en lumière des propos de son réalisateur à ce sujet :  "Avant de tourner ce film, j’étais dans une passe difficile. Tout le monde aimait bien mes films. J’avais de très bonnes critiques, et aucun de mes films n’était déficitaire. Mais personne ne voulait me donner d’argent pour en produire un nouveau.

    Les seuls qui m’avaient donné de l’argent, jusqu’ici, c’étaient Godard, en fin de tournage, et l’ORTF, après maintes palabres, parce que c’étaient des documentaires, donc apparemment sans problèmes. Cette situation contradictoire me mettait en rage. 

    Et c’est cette rage qui m’a permis d’écrire les dialogues de La Maman et la Putain. Des dialogues, ou plutôt des monologues sans découpage, qui s’amoncelaient chaque jour pour former la base d’un film colossal de cinq ou six heures. (...) Pour donner une idée du besoin de provocation qui était le mien, je signale que le titre primitif était Du pain et des Rolls."

    Un Festival de Cannes placé sous le signe de la provocation pour les films français

    Détonateur du scandale, le Festival de Cannes de 1973 ! Lors de sa présentation, le film ne tarde pas à susciter la polémique. Une partie de la critique ne l'épargne pas, à commencer par Gilles Jacob, critique cinéma à l'époque, avant d'occuper le poste Délégué général du Festival de Cannes pendant de nombreuses années.

    Gilles Jacob n'y va pas par quatre chemins, dézinguant le film, face à son réalisateur Jean Eustache, parlant d'un "non film" par un "non cinéaste", avec un "non acteur". Il emploie même le mot "merdique" reprenant ainsi un terme entendu justement dans le film incriminé.

    Malgré cet accueil glacial, La Maman et la putain remporte deux prix, dont le Grand Prix spécial du Jury. Précisons néanmoins que Ingrid Bergman, présidente du jury cette année là, s'était opposée à ce choix, trouvant le film "ignoble".

    Elle déclara même dans la presse qu'elle "trouve regrettable que la France ait cru bon de se faire représenter par ces deux films, les plus sordides et les plus vulgaires du Festival " L'autre film cannois visé étant La Grande Bouffe de Marco Ferreri, long-métrage avec lequel La Maman et la putain partage le prix Fipresci.

    Un film "ignoble" !

    Comme le résume bien Gilles Jacob (encore lui !) dans son Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes, "de brûlot provocateur, (La Grande Bouffe) ce grandiose requiem est devenu un classique du cinéma, une étude souriante de la physiologie intestinale, une fable visionnaire sur la société de consommation, dans toute son obscénité, et sur l'excès considéré comme un des beaux-arts."

    Mort de Michel Piccoli : le jour où La Grande Bouffe créait la polémique à Cannes

    La Maman et la putain a également fait couler de l'encre suite à deux décès tragiques. La costumière du film, Catherine Garnier, se suicide avant même que le film ne sorte. L'histoire raconte qu'elle aurait laissé cette note : "Le film est sublime, laissez-le comme il est". Jean Eustache s'est suicidé en 1981, à l'âge de 42 ans, moins de 10 ans donc après la sortie du film.

    Un film rare, devenu quasi invisible

    Comme toute oeuvre entourée d'un certain mythe, La Maman et la putain compte parmi ces fillms que beaucoup connaissent mais... sans l'avoir vu !

    L'oeuvre attirera pas moins de 300 000 spectateurs pour sa sortie en 1973. Mais le film restera interdit aux moins de 18 ans jusqu'en 1981. Et c'est seulement en 1986 qu'il connaitra sa première diffusion télé, la durée hors norme du film ne facilitant pas une programmation grand public.

    Ses diffusions télé se comptent sur les doigts d'une main. La dernière remonte à quasiment 10 ans à l'occasion d'un hommage rendu par la chaine Arte lors du décès de Bernadette Laffont. Le film n'existe pas non plus à ce jour en DVD (cela devrait prochainement être réparé).

    Seules quelques diffusions en cinémathèque en France ou à l'étranger ont eu lieu. Sinon, des copies pirates circulent depuis quelques temps.

    Avant que la société de distribution Les Films du Losange ne s'empare de la restauration et de la sauvegarde de ce film, La Maman et la putain aurait pu disparaitre. Un blocage assez complexe des droits du film empêchait en effet une restauration et une nouvelle exploitation du film. 

    Un retour en grâce

    La ressortie du film ce mercredi 8 juin a déjà rencontré un joli succès, avec pas moins de 1 500 spectateurs curieux de le découvrir en une journée. Les Films du Losange a mis en place une belle campagne de communication à la hauteur de cet événement cinéphile, afin de ressusciter le long-métrage.

    C'est donc une version entièrement restaurée et même agrémentée d'une scène coupée qui est proposée au public. Comme l'indique le distributeur, "cette ressortie de La Maman et la Putain n’est que la première étape, la plus emblématique, d’un long travail de restauration de l’intégralité de son œuvre, qui ressortira en salle au fur et à mesure de l’année 2022/2023. Elle sera accompagnée aussi de sorties DVD / Blu-ray et d’un travail critique inédit."

    "Trop longtemps l’œuvre brûlante d’Eustache a été rangée parmi celles des grands maudits. Il était urgent de remontrer ses films, de les rendre scandaleux encore, polémiques toujours, émouvants quoi qu’il en soit, vivants. Il n’y a pas de maman, il n’y a pas de putain, et c’est au présent que ce film continue de vouloir nous le dire".

    La Maman et la putain est actuellement à l'affiche, en attendant une édition DVD à venir.

    Top 5 - Les scandales à Cannes

     

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